Que
peut-la loi internationale contre la
dictature ?
Moncef Marzouki*
Le 27 Mai prochain, un problème inédit va
être soumis à ce qu’on appelle la communauté internationale. Posons rapidement
les données.
Il existe un pays
qui s’appelle la Tunisie, habité par un peuple pacifique, modéré, développé et
avide de vivre dans une société démocratique, mais
soumis à une dictature d’un autre âge.
Son président a confisqué toutes les libertés individuelles et collectives
dont le droit à des élections honnêtes. Il s’est fait ‘’élire’’ deux fois en 1994 et 1999 par 99% et des
poussières. Il se prépare le 26 Mai Prochain à modifier par referendum la constitution qui
lui interdit un troisième mandat en 2004.
Nul n’a de doute concernant le résultat de la
soi disant consultation du peuple.
Elle va lui donner ce qu’il exige : l’impunité, la
présidence à vie et le droit de déposséder les traîtres à sa personne de leur
nationalité.
Or toute La Tunisie, bâillonnée
et fliquée comme nulle autre population au monde,
rejette avec horreur une telle perspective
Malgré une
répression qui s’emballe, la résistance démocratique s’intensifie et prépare la riposte au putsch constitutionnel en marche. Parmi les mesures qu’elle envisage, une
plainte aux Nations Unies, le lendemain de l’annonce des scores
habituels.
La plainte portera sur
la confiscation de la souveraineté
du peuple tunisien à travers une ‘’consultation’’ trafiquée de bout en bout et
donc illégale.
Elle s’accompagnera d’une demande d’invalidation de ce référendum et la
non- reconnaissance de la légitimité du pouvoir tunisien en découlant.
Pour beaucoup la démarche relèverait d’une
opération de public relation à la limite de la bouffonnerie.
Au cas ou la bureaucratie Onusienne répondrait à cette plainte inhabituelle,
ce sera probablement pour nous apprendre que l’ONU, n’est pas en mesure
de la considérer, car son mandat ne
le lui permettant pas de s’immiscer dans
les affaires intérieures d’états souverains.
Il serait d’ailleurs grand temps de mettre à jour ce concept.
Il
a commencé par signifier le
droit d’un peuple à ne pas dépendre
d’un état étranger. Il a fini par ‘’légitimer ‘’l’oppression de ce même peuple
par son Etat national se considérant le maître absolu d’une population, à l’abri de toute critique
vite baptisée ingérence étrangère.
Il est devenu patent de nos jours que la souveraineté nationale, cet autre
nom du droit à l’autodétermination- n’a de sens qu’a deux conditions :
L’interdépendance dans l’égalité à l’extérieur et la démocratie à l’intérieur.
Aucun peuple ne peut se prétendre souverain
à l’intérieur de ses frontières
s’il n’a pas les trois libertés fondamentales que est la liberté
d’expression, d’association et d’élection.
C’est cette souveraineté que les dictatures violent en se comportant comme un véritable régime
d’occupation interne. Le combat pour la démocratie est devenu dans ces
conditions un véritable combat pour
une seconde indépendance.
Mais arrêtons-nous aux deux raisons qui rendent la plainte irrecevable par ce syndicat des Etats
qu’est l’ONU.
Primo, Il n’existerait pas de textes
donnant le droit à un peuple de porter plainte contre son gouvernement, de contester ses méthodes et encore moins sa
légitimité.
Il n’y aurait donc aucune base légale pour prononcer, pour un pays donné, la non constitutionnalité d’une loi sur la presse ou sur les
associations, encore moins invalider
des élections aussi visiblement
trafiquées soient –elles.
Secundo,
il n’existe pas de structure capable de traiter une telle plainte.
Ne parlons pas de l’absence d’une force capable d’imposer ses décisions au
cas ou elle viendrait à exister.
En fait le
message implicite est clair.
Si vous voulez vous débarrasser de votre dictature, faites comme tout le
monde. Descendez dans la rue. Faites vous hacher menu par les mitraillettes
comme cela s’est fait partout et comme cela a été le cas chez vous en 1978 et en
1984. Si vous l’emportez, on sera bien content pour vous. Si vous n’y arrivez
pas, on sera bien obligé de continuer de traiter avec votre dictateur sur lequel
nous ne nous faisons aucune illusion par ailleurs.
Les honnêtes gens, continueront
donc à traiter sans états d’âme, avec des voisins volant et violant sous
leurs propres yeux, au lieu
d’appeler la police ou de cesser d’avoir la moindre relation avec eux
On reconnaît par là même dans le
saint des saints du droit international,
que dans le cas d’espèce, il n’y a pas de solution de droit mais
seulement une solution de force.
Une telle attitude de la bureaucratie Onusienne est inacceptable car les textes permettant l’invalidation de tous ces réferundum bidon
existent bel et bien.
L’article 25 du Pacte des droits civiques et politiques, que la Tunisie a
ratifié, reconnaît le droit à des
élections libres comme l’un des
droits fondamentaux de l’homme. On peut aussi invoquer l’article 2 de la déclaration du droit des peuples à
l’autodétermination de décembre 1960.
A quoi serviraient des textes, nous dira-t-on, s’ils n’ y a pas d instances
pour les imposer ?
A quelle structure judiciaire peut
s’adresser la société civile nationale ou internationale pour demander justice
face à un pouvoir coupable de violer
les textes qui fondent aujourd’hui
la légalité internationale ?
Le cas tunisien est justement là pour souligner l’existence d’un trou
important dans le dispositif que l’humanité essaye depuis cinquante ans de
mettre en place pour que le droit prévale
sur la force.
Appelons cette structure virtuelle la
Cour Constitutionnelle Internationale.
Elle pourrait invalider
les faux referendums, les
élections truquées, comme il y en a
tant dans le sud, ainsi que
pratiques scélérates s’attaquant aux libertés fondamentales ou protégeant la torture comme instrument du terrorisme
d’Etat.
Cette structure pourrait exiger que les élections soient refaites sous contrôle de l’ONU. En cas de refus, les
sanctions pourraient être prononcées.
Elles ne prendraient pas l’aspect
grossier des embargos qui mettent dans le même sac le peuple et ses bourreaux, mais distinguerait la population, l’Etat et le
régime.
Ainsi, elle pourrait par exemple demander aux Etats de droit de renvoyer les
ambassadeurs du
régime félon, mais pas les fonctionnaires
du consulat chargés des affaires des citoyens, et encore moins pénaliser les
citoyens du pays en question.
Les hommes cl é du régime désigné hors la loi par la CCI, seraient eux, et seulement eux, la cible de l’embargo.
Montrés du doigt, interdits de
voyage dans l’espace de droit, voyant
leur compte de banque cachés
à l’étranger gelés et leur dossier transmis devant le tribunal
criminel international pour ceux impliqués dans les affaires de torture ; Ces hommes ivres de pouvoir et habitués à
l’impunité apprendraient à mieux gérer leur mégalomanie et leur agressivité.
Certes, on est encore loin de ce rêve, mais ne dit-on pas que c’est le premier pas qui
compte. C’est à la société civile internationale, de faire ce premier pas.
Elle peut dans un premier temps, en
jeter elle-même les bases sous forme d’un tribunal Russel de la Démocratie. Dans un
deuxième temps plus ou moins lointain, elle obligerait les Etats à l’incorporer dans
l’appareil judiciaire international comme ce fut le cas du tribunal pénal
international.
Son existence rendrait l’exercice de
la dictature encore plus périlleux,
écourterait sa durée en renforçant la résistance démocratique. Elle serait aussi une pièce maîtresse dans le
maintien de la paix dans le monde puisque ce sont le plus souvent, des dictateurs à moitié fous qui ont déclenché
les plus terribles guerres.
Bien sûr, les Tunisiens ne vont
pas attendre que leur liberté soit récupérée par de tels mécanismes, encore loin
dans le futur. Ils devront, Hélas, beaucoup
se sacrifier pour la mériter. Par
contre il est à espérer qu’a l’occasion du débat autour du problème tunisien, on voit s’amorcer une
réflexion collective sur les diverses stratégies, dont la CCI, pour éradiquer la dictature au même titre
que la lèpre ou de la peste, maladies beaucoup moins mortelles pour l’homme et
infiniment moins dangereuses pour l’humanité.
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*Professeur en médecine, président d’honneur de la ligue tunisienne des
droits de l’homme