Publié dans:
Jaffé, Ph.D. (Ed.) (1998). Challenging mentalities: Implementing the United
Nations Convention on the Rights of the Child. Ghent Papers on Children’s Rights (No 4). Ghent University Press,
Belgium.
CONVENTION DES NATIONS-UNIES RELATIVE AUX
DROITS DE L'ENFANT
Moncef Marzouki
University de Sousse
Sousse, Tunisie
La mise en oeuvre de la Convention est beaucoup plus qu'une question technique. Aussi, l'objectif de cette intervention est-il de brosser à larges traits le contexte dans lequel elle fonctionne. Seule une approche globale de ses enjeux, clairs ou mal définis, nous permettra d'évaluer correctement ses chances de réussite.
On me permettra de faire remarquer qu'il ne s'agit pas là d'un travail de théorisation a priori, mais d'une tentative de rassemblement des éléments d'un puzzle entr'aperçu pièce par pièce pendant de nombreuses années de travail sur le terrain. Pour être tout à fait honnête, j'ajouterai que cette approche globale du problème a été construite aussi, voire surtout pour gérer l'impatience, le découragement, les trop nombreux échecs, pour se garder de toute illusion sans jamais perdre l'espoir.
Dans quelques centaines de jours, nous allons être ensevelis sous une avalanche de discours et d'écrits sur le siècle que nous laissons derrière nous. Chacun ira de sa formule lapidaire, de son jugement définitif, de sa vision globale. Bien sûr le siècle est bien trop riche pour se prêter à de telles simplifications et chacun n'y verra que ce qu'il est capable ou intéressé d'y voir.
Il se trouve aussi, que dans peu de temps, plus exactement le 10 décembre 1998, nous fêterons le demi siècle de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Le bilan qui sera dressé à l'occasion risque de ne plaire à personne, aux uns par l'ampleur des protestations, aux autres par l'ampleur des violations. La proximité des deux événements nous obligera à réfléchir sur le sens et l'importance du phénomène "droits de l'homme", si caractéristique de ce siècle.
Nous mesurons mal la portée, le sens et l'importance de ce phénomène. Or, le processus est unique dans l'histoire, et ce de par tous ses aspects. Il est unique par la nature même de celui qui énonce la Loi. Le législateur universel n'est plus, comme dans les anciens scénarios, une force conquérante, ou une puissance divine externe à l'humanité. Il est pour la première fois, le porte parole d'un consensus négocié entre les civilisations, les idéologies et les cultures de la planète. Il est l'expression d'une volonté commune émergeant de l'intérieur même de cette humanité. Il est à la fois rationnel, humain, mais aussi quasi sacré. Le phénomène est unique par l'ampleur de l'objectif. Les nouvelles règles opèrent à tous les niveaux de préoccupations des hommes: droits et devoirs des personnes et des peuples, statut des personnes, des groupes et des communautés, circulation des biens, des idées et des hommes.
La Convention n'est que le dernier beau fruit né d'un arbre qui continue à pousser. Son tronc est la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ses racines sont la Charte des Nations Unies. Ses grosses branches sont les deux pactes internationaux de 1966, celui relatif aux droits civils et politiques et celui relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ses feuilles, ses fruits sont les dizaines de textes réglementant le statut de réfugié (1951), des apatrides (1954), des détenus (1955), prohibant l'esclavage (1956), la discrimination raciale (1963), la discrimination contre la femme (1967), la discrimination fondée sur la religion ou la conviction, la torture (1975 et 1984), reconnaissant le droit des peuples à l'indépendance (1960), à la paix (1984), au développement (1986), etc.
La Convention s'inscrit donc dans le foisonnement de ce nouvel arbre de vie unique à tous égards dans l'histoire de l'humanité.
Le phénomène "droits de l'homme" est aussi unique par le fait que la nouvelle table des lois ne s'adresse plus à une tribu ou un peuple mais à toute l'espèce humaine.
L'humanité n'est pas considérée comme un magma indistinct d'individus interchangeables, mais comme un système de solidarités, où toute l'espèce est présente d'une façon identique à la fois dans sa totalité et dans ses sous systèmes, comme dans sa partie constitutive, à savoir la personne humaine. Il s'agit d'une vision émergente totalement nouvelle et révolutionnaire, venant à point nommé pour nous sortir des délires collectifs qui ont été notre lot pendant la plus grande partie de l'histoire.
Le phénomène est surtout unique par l'accord tant explicite qu'implicite qu'il a scellé entre toutes les cultures autour de la plus dangereuse pomme de discorde : qu'est-ce qu'un homme ?
N'oublions pas que les droits de l'enfant font partie des droits de l'homme ou plus exactement qu'ils sont les droits de l'homme. En écrivant cette lapalissade, j'ai brusquement le souvenir d'un croquis paru dans la presse algérienne, il y a quelques années où l'on voit un mâle à l'aspect peu amène traîner sa femme par les cheveux jusqu'à la porte de la ligue algérienne des droits de l'homme, et lui montrer l'écriteau plein de morgue et de satisfaction: là, c'est écrit noir sur blanc, tu vois bien... "Ligue-de-défense-des droits-de l'homme".
Nos amis québécois ont évacué ce vestige intéressant d'une époque et d'une mentalité en parlant de droits de la personne. Mais l'ambivalence sur laquelle joue le caricaturiste mérite que l'on s'y intéresse car la réalité qu'elle dénonce n'a pas disparu, tant s'en faut.
La Langue n'est pas neutre, elle a de la mémoire ou plus exactement elle est la mémoire. Elle nous rappelle que l'humanité la plus pure était censée s'incarner dans une sorte d'étalon, ou pour éviter les jeux de mots suspects, dans un référentiel: l'adulte mâle appartenant à la race dominante, à la classe dominante, et de préférence au groupe politique dominant. C'est ainsi que "l'homme" au sens sexué a fini par représenter l'espèce par le même processus mental qui a fait de l'Angleterre l'autre nom de la Grande Bretagne.
La pensée des droits de l'homme ne reconnaît pas de standard, d'étalon, de forme pure ou privilégiée. Le WASP mâle en bonne santé peut se trouver de facto au sommet de l'échelle sociale dont la première barre est représentée par la petite réfugiée Hutu malade du Kwashiorkor.
Illusoire supériorité de l'un et non moins illusoire infériorité de l'autre. L'un comme l'autre ne sont que les formes prises par l'être humain identique et égal à lui-même à travers ses multiples expressions.
Ainsi, la femme et l'enfant n'accèdent pas à leur statut d'être humain en se rapprochant du modèle implicite mais le font par leur simple existence en tant que femme ou enfant.
Ce dernier n'est donc plus à considérer comme un petit homme, un homme en gestation, une forme incomplète et immature de l'homme, mais simplement comme un "homme" présentant certaines caractéristiques biologiques et psychologiques, dont nous devons tenir compte dans la gestion de ses affaires.
On voit ici l'importance du retournement paradigmatique, et la profondeur des changements que nous devons nous imposer, notre esprit ayant été formaté par des visions locales, spécifiques où l'élément structurant est la différence de l'autre et non sa similitude.
Ce n'est que tard dans le siècle prochain que l'on distinguera les véritables lignes de force et que l'on pourra se faire une idée correcte de la signification de ce phénomène, parmi les plus marquants de ce siècle. Deux hypothèses peuvent être avancées.
Dans la première, tout a bien marché. Le navire a pu doubler le cap sans être drossé sur les rochers par la tempête. L'humanité a pu maîtriser sa crise écologique, démographique, économique et identitaire. Les textes de la loi universelle seront peut-être les bases juridiques et éthiques d'une nouvelle civilisation, réglant les statuts de personnes, les devoirs des Etats et les divers aspects de la vie commune de l'espèce. Comme tous les textes fondateurs, ils seront plus ou moins appliqués, mais seront reconnus par tous comme les fondements de l'ordre du monde.
Dans la seconde hypothèse, tout a mal tourné (Brown, 1996). La crise écologique n'a pas pu être surmontée, pas plus que l'explosion démographique au sud et l'implosion démographique au nord. Le libéralisme sans frein a coupé l'humanité en deux, la minorité des riches et la majorité clochardisée. La crise identitaire s'est exacerbée du fait des échecs précités en une explosion de tribalismes, nationalismes, intégrismes, mettant la planète à feu et à sang. Dans ce cas de figure, les textes apparaîtront aux quelques chercheurs, qui voudront bien s'y intéresser, comme les reliquats d'un rêve brisé, d'une utopie de plus qui s'est ensablée dans un bras asséché du fleuve de l'histoire.
On peut certes imaginer entre ces deux situations extrêmes, des situations moins tranchées et plus probables. Le fait restera toujours que nous ne pouvons savoir quel est le devenir à long terme, de nouveaux textes fondateurs et donc que nous ne savons rien de ce qui attend notre Convention. Nous ne pouvons que parier, et tout faire pour gagner le pari.
Certes, la mise en oeuvre de la Convention ou de tout autre texte des droits de l'homme est une question de volonté et d'organisation. Elle est aussi et surtout une affaire de conjoncture et peut-être même de chance.
Il existe un autre aléa, encore plus contraignant, auquel nous devons être attentifs.
Le propre de tout texte fondamental ou fondateur est d'être un texte d'Annonciation, porteur d'une bonne nouvelle, mais aussi d'une mauvaise. Commençons par la bonne. La Convention annonce la prise de conscience, à l'échelle planétaire, du scandale qui est fait à l'enfant, et la détermination de l'homme à y mettre fin. La mauvaise nouvelle, quant à elle, a trait à l'ampleur du scandale. La mauvaise nouvelle au sein de la mauvaise nouvelle a trait à l'explication réelle dudit scandale. Les violations des droits de l'homme-enfant ont des résonances émotionnelles extrêmement fortes; en tout cas beaucoup plus fortes que celles dont l'être humain est victime sous ses autres incarnations.
Dans Les frères Karamazov, Ivan tient un long discours à Aliocha sur les crimes de Dieu. Il lui décrit longuement avec rage cette affreuse scène ou l'enfant moujik, terrorisé et nu, est lâché la nuit dans les fourrés et chassé à courre comme un lapin par la meute déchaînée du seigneur du coin. Ivan dit cette chose terrible que, même si le Christ revenait sur terre pour tout recommencer et régénérer, il ne pardonnerait jamais à Dieu l'horreur du meurtre de cet enfant-là, ce soir-là.
La souffrance de l'enfant nous frappe au coeur et nous bouleverse comme nulle autre horreur du monde. Pourtant, nous savons intuitivement qu'elle n'est pas forcément plus dramatique, absurde ou injuste que celle de la femme, de l'adulte ou du vieillard. Certes, elle nous est plus inacceptable en tant qu'elle concerne ce que nous considérons comme la forme la plus fragile, la plus vulnérable et la plus précieuse de notre humanité. Mais l'explication est probablement à chercher plus en profondeur.
Le siècle qui nous quitte aura été, entre autres, celui de la perte des illusions eschatologiques et surtout d'une innocence longtemps entretenue par les délires idéologiques. Cette perte d'innocence ou la brutale rencontre avec ce que nous recelons en nous d'effrayant a eu lieu à deux moments forts: la découverte des camps de concentration et celle des placards à enfants martyrs. Dans les deux cas, la brutalité des images a détruit toute possibilité de fuir l'évidence, à savoir que nous recelons en nous de terribles forces d'inhumanité.
Face aux adultes rescapés des camps ou des chambres de torture, comme aux enfants rescapés des placards et des maisons closes, nous ne pouvons plus nous réfugier dans les explications de facilité. Ce serait insulter davantage les victimes.
Nous avons tous entendu parler du projet le "Génome humain". Imaginons un projet similaire, mais certainement beaucoup moins coûteux et appelons le, avec la permission de l'Académie Française et votre indulgence, le projet "Psychome".
Il s'agirait là aussi de mobiliser des chercheurs mais en anthropologie, linguistique, sociologie, psychologie, histoire, des artistes et des poètes, et ce pour écrire ensemble un très gros manuel concernant les caractéristiques objectives de ce fameux homme par qui et pour qui ont été faites toutes ces déclarations solennelles, ces conventions comminatoires et ces rêves éternellement recommencés d'un monde débarrassé de l'horreur.
Les généticiens n'accèdent ni à la morphologie de la main divine qui aligne le long des chromosomes les bases pudiques et pyrimidiques ni à ses intentions. Leur projet consiste "simplement" à déterminer l'alignement des codons et à repérer tous les messages signifiants appelés gènes. De la même façon, nos chercheurs du "psychome" ne pourront prétendre avoir accès au musicien-instrument qu'est l'esprit mais simplement à sa production, à savoir la partition musicale. Le problème susceptible d'un traitement scientifique n'est plus "qu'est ce que l'homme?", mais "que croit-il?", "que fait-il?", "comment réagit-il?". En santé publique, nous appelons ce type de recherche une enquête C.A.P. (connaissances, attitudes, pratiques).
Le projet "psychome" serait donc une enquête C.A.P mais à l'échelle de l'espèce et sur un temps d'observation qui serait l'histoire tout entière.
Feuilletons quelques pages de ce grand lexique imaginaire. On verrait défiler tout le spectre des croyances, des émotions et des pratiques humaines. On verrait défiler tout ce dont les hommes sont capables en matière de méthodes de fonctionnement: imaginaire, rationalité, technicité, magie, etc. Le grand bréviaire de ce dont nous sommes capables montrera la complexité, l'ambivalence, le dynamisme, et l'hétérogénéité de l'être-homme. Il apparaîtra alors clairement que la bête, le diable, l'homme socratique, le pauvre type lui-même, le surhomme, l'homme malade producteur de morale et de religion ainsi que Dieu "en personne" ne sont que des rubriques différentes du psychome.
De la même façon que chaque personne n'exprime qu'une partie du génome humain, nous n'exprimons les uns et les autres que certaines potentialités du "psychome". Seul l'homme au sens générique exploite toutes les possibilités et il est fort probable que nous devrons garder toujours le livre grand ouvert puisque tout n'a pas été exploré ou exprimé.
Or, une grande partie du catalogue ainsi exhumé décrirait obligatoirement la partie terrible qui est en nous. On verrait froidement alignés les comportements du viol, du meurtre, du cannibalisme, de la torture, de la cruauté, des attitudes de haine, de ressentiment, de jalousie, de délires en toutes sortes.
Dostoievski, Freud et Nietzsche ont été les spéléologues de l'âme humaine qui ont le mieux exploré cette partie obscure et dangereuse du "psychome".
Là, plus de faux-fuyants possibles.
Cette partie du lexique est aussi concrète, constitutive et permanente que les comportements et les attitudes de bonté, de sacrifice ou d'amour. L'horreur, comme le phénix, renaîtra toujours de ses cendres. Notre futur est plein de nouveaux Hitler et d'assassins au détail genre Dutroux et compagnie. Nous sommes condamnés à jamais à arracher toujours et toujours la mauvaise herbe renaissante dont les racines les plus profondes plongent là même où naissent celles de l'amour et de l'abnégation.
Hors de l'homme point d'issue. Nous sommes irrémédiablement prisonniers de nous-mêmes. Ceci signifie aussi qu'il n'y a nul rivage où aborder, nul pays de Cocagne, nulle époque dans le futur le plus reculé où nous pourrions construire un monde qui ne connaîtrait pas la souffrance de l'enfant. Livrés pieds et poings liés à notre liberté, nous devons gérer à la fois notre humanité et notre inhumanité.
Si dans de nombreuses cultures, comme la mienne, le déni concernant l'existence d'abus sexuels, de maltraitances, d'exploitation des enfants est encore si massif, c'est bien parce que l'image avantageuse que nous nous faisons de nous-mêmes s'en trouve définitivement et irrémédiablement brisée. Pourtant, dans la culture arabo-musulmane, comme cela est déjà fait dans la culture occidentale, la partie inhumaine de notre humanité devra bien être assumée. Il ne sert jamais de courir en tournant le dos à ses peurs. Quelle que soit votre vitesse, et votre habileté à vous en cacher, elles finissent tôt ou tard par vous rattraper.
Le processus d'application de la nouvelle table des lois que nous avons déjà reconnue comme fort aléatoire, dépendant tout aussi bien de notre volonté que de l'évolution chaotique des forces incontrôlables que nous chevauchons, se révèle de plus intemporel. Nous ne pouvons conduire la mise en oeuvre à la façon d'un planificateur soviétique conduisant un plan quinquennal. Le cadre de notre rêve actif est à la fois l'instant et l'éternité: l'instant car tout ce qui touche à la souffrance de l'enfant est une urgence, l'éternité car la lutte contre cette souffrance de l'enfant ne connaîtra jamais de fin si ce n'est celle de l'homme lui-même.
Ces considérations d'ordre général me paraissent utiles, surtout pour "blinder" ceux qui travaillent dans le domaine. Tous savent par expérience à quel point la souffrance de l'enfant mourant, malade, handicapé, traumatisé par un viol, etc. est insupportable. Au contact permanent de l'horreur permanente, le coeur se bronze rarement et souvent se brise.
La détresse du flot incessant d'enfants sans enfance, surtout quand elle est muette, finit par atteindre les âmes les plus trempées. Les plus menacés sont ceux qui abordent les problèmes en croyant y apporter rapidement la solution. On ne peut travailler avec et pour l'enfant qu'en devenant un expert froid ou en s'installant dans cette attitude de fatalisme actif qui permet de gérer la complexité, les délais, le découragement et de supporter l'insupportable.
Il nous faut maintenant arriver aux considérations d'ordre opérationnel.
A priori, nous pouvons nous montrer raisonnablement satisfaits du fait que depuis 1989, 191 pays ont ratifié la Convention à ce jour et que 90% des enfants du monde sont de ce fait théoriquement sous sa protection.
Certes, il s'agit là d'un pas gigantesque mais nous ne devons pas nous leurrer. Il faut savoir ici que tous les textes du législateur universel peuvent être lus de façons négative ou dans une sorte de miroir déformant. Ainsi examinés, ils révèlent et décrivent à la perfection la situation réelle du mal être général.
Si l'article 5 de la Déclaration universelle traite de la torture, c'est bien à cause de son extrême fréquence.
La Convention décrit donc de façon précise et concise les malheurs qui accablent la majorité des enfants du monde, aujourd'hui premières victimes de l'empoignade universelle et du désordre généralisé. Elle décrit aussi leurs besoins brimés, leurs vies saccagées, les rêves et les projets que nous faisons pour eux et en leur nom.
Abordons donc la question protégés par un "pessi-optimisme" à toute épreuve, puisque seule cette attitude peut nous permettre de tenir le rythme d'une course sans ligne d'arrivée.
L'application de la Convention se présente de façon radicalement différente selon que l'on se trouve au Sud ou au Nord. D'emblée, on est frappé par un paradoxe, à savoir qu'elle sera mise en oeuvre le plus aisément et le plus complètement là où elle est la moins nécessaire, là où la situation de l'enfant est la plus satisfaisante, c'est-à-dire dans les pays riches et démocratiques.
La déclaration de Stockholm de Mai 1995 sur l'application en Europe de la Convention, ne fait qu'exercer de légères pressions sur des politiques déjà largement bénéfiques à l'enfant. C'est probablement dans les pays les plus avancés en matière de droits de l'homme, les pays scandinaves, que la Convention a toutes ses chances (Rädda Barnen, 1995). C'est aussi dans un pays comme la Belgique qu'est né un véritable mouvement de mobilisation populaire contre le crime pédophile et non dans un pays comme la Thaïlande.
Ceci ne signifie nullement que tout est gagné, qu'on peut baisser sa garde, que la sensibilisation des pouvoirs et de la population n'est pas importante, mais simplement que la tâche y est relativement aisée, que les progrès peuvent y être rapides, portés par des courants puissants et antérieurs à la Convention.
Il s'agit d'élargir les droits acquis aux zones d'exclusion qui se développent de façon inquiétante, de faire face à cette montée des ténèbres qui se traduit par des violences sexuelles et non sexuelles dans des foyers détruits par l'alcool, la folie, la perversité ou la misère.
C'est le combat éternellement gagné et éternellement perdu contre le mal que nous portons en nous. La mobilisation doit être permanente. Il faut briquer toutes les armes contre les multiples têtes de l'hydre: augmenter l'efficacité des systèmes d'éducation, de prévention, de réhabilitation.
Il faut que la tondeuse à gazon judiciaire et répressive fonctionne aux mieux de ses possibilités pour couper à raz la repousse permanente du mal. Mais il faut surtout être conscient que rien n'est jamais acquis à l'homme, fût-il occidental. Il faut être attentif aux signes inquiétants de la crise de la Démocratie, aux symptômes annonciateurs de l'agitation croissante des démons tapis au fond du "psychome" et guettant leur heure.
Tout autre est la situation au Sud.
Considérés à l'échelle du monde et dans une perspective de temps assez large, les bénéfices extraordinaires acquis par l'enfant du Nord (qui, rappelons-le, était un enfant du Sud il y a à peine un siècle) ont été annulés par l'explosion démographique. En chiffres absolus, il n'y a jamais eu dans l'histoire autant d'enfants malades, mal nourris, exploités, réfugiés ou ballottés par la guerre [1]. Les chiffres de la mortalité infantile dans de nombreux pays de l'Afrique du sud du Sahara sont effrayants avoisinant les 250 pour mille naissances vivantes alors que le taux au Japon est de 5 pour mille.
Dans son dernier rapport de 1996 intitulé "le travail des enfants: l'intolérable en point de mire", le BIT tente de faire le point sur une situation encore largement méconnue. 33% des enfants ne sont pas scolarisés dans des pays aussi divers que l'Inde, le Ghana, l'Indonésie. Dans ce dernier pays, 5 millions d'enfants sont des domestiques toujours soumis au risque de violence et de sévices sexuels.
L'esclavage, notamment pour dette, est courant en Asie du Sud, du Sud Est et en Afrique occidentale. 120 millions d'enfants de 5 à 14 ans sont astreints au travail, et seraient même 250 millions si l'on compte ceux pour qui le travail est une activité secondaire. Le travail insalubre, dangereux serait le sort de millions d'entre eux.
Le commerce des enfants est ainsi décrit :
"Il semble qu'il y ait cinq réseaux internationaux de traite d'enfants; l'un recrute en Amérique Latine à destination de l'Europe et du Moyen-Orient; le deuxième livre des enfants d'Asie du Sud et du Sud Est en Europe du Nord et au Moyen-Orient; le troisième fait un trafic régional en Europe; le quatrième, relié au précédent, fait de même dans le monde arabe; enfin, le cinquième exporte des fillettes d'Afrique de l'Ouest. En Europe de l'Est, aujourd'hui, la traite va généralement d'est en ouest. Un grand nombre de Bélarussiennes, de Russes et d'Ukrainiennes sont livrées en Hongrie, en Pologne, dans les Etats baltes ou dans les capitales d'Europe occidentale. Il y a aussi une traite de prostituées roumaines en Italie, à Chypre et en Turquie. Plusieurs circuits réguliers ont été découverts en Asie du Sud-est: du Myanmar en Thaïlande; à l'intérieur de la Thaïlande; d'autres pays dont ce dernier, en direction de Chine, des Etats-Unis, du Japon, de Malaisie; des Philippines et de Thaïlande vers l'Australie, la Nouvelle-Zélande et Taiwan, Chine; du Bangladesh et du Népal en Inde, d'Asie du Sud-Est à Hawaii et au Japon, via Hong Kong; d'Inde et du Pakistan vers le Moyen-Orient".
Le simple bon sens nous dit que pour agir sur cet état des choses, il faut traiter les causes et non les conséquences.
Thomas Hammarberg (Hammarberg, 1993) ex-vice président du Comité des droits de l'enfant des Nations Unies exprimait ainsi les chances de la Convention : "Real change will be possible if only we can cope with the major threats we're facing: armed conflict, population growth, the environment, and the poverty gap".
De toutes ces causes, la plus importante semble être la pauvreté. Or, le rapport de juin 1996 de l'ONU signale sa progression alarmante dans le monde, l'élargissement du fossé entre les plus riches et les plus pauvres aussi bien dans les pays riches que dans les pays pauvres. Le fait est que 25 % de la population mondiale vit plus mal qu'il y a 15 ans. Cette pauvreté galopante est elle même la résultante de facteurs aussi complexes que l'explosion démographique, la crise de l'eau, des sols arables, de la production agricole, du développement des mégalopoles, de la corruption, de la pensée unique, ce nouveau dogmatisme de l'économisme triomphant pour qui la société doit être au service de l'économie et non l'économie au service de la société.
L'enfant malade, prostitué, ou esclave n'est donc que le symptôme le plus criant des violations des droits socio-économiques dont sont victimes, bien qu'à des degrés divers, la femme, le vieillard ou l'adulte.
Aux mécanismes responsables de l'état des droits de l'enfant dans les pays du Sud, cités par Hammarberg, il faut ajouter un cinquième facteur tout aussi important: la dictature.
Les articles 23, 24, 26, 27, 28, 31, 32 de la Convention reconnaissent à l'enfant l'ensemble des droits socio-économiques de la Déclaration universelle en reprenant et détaillant ses articles 2, 24, 25 et 26. Ce qui est tout à fait surprenant et révolutionnaire c'est qu'elle reprend aussi les droits politiques, notamment les articles 18, 19, 20 et 21.
La Convention reconnaît en effet à l'enfant la liberté d'opinion (article 12 et 13), la liberté de croyance (article 14), la liberté d'association (article 15), le droit à l'intégrité physique (article 19), à la vie privée (article 16) et au respect de sa culture s'il appartient à une minorité (article 30).
On ne rappellera jamais assez que les droits de l'enfant ne sont que les droits de l'homme appliqués à une phase particulière de son développement, qu'ils sont indissociables des droits de l'adulte, et qu'ils ne sauraient exister là où la Démocratie n'existe pas.
Les chances de la Convention dans les pays du Sud sont, ni plus ni moins, celles du développement durable et de la Démocratisation. (De Vylder, 1996). Il faut examiner froidement la responsabilité de tous les acteurs susceptibles de construire ces deux fondements des droits de l'homme, enfant, femme, adulte, marginal ou minoritaire. La Convention s'adresse aux Etats. C'est à eux en priorité qu'elle fait obligation dans ses articles 2, 3 et 4 d'appliquer l'ensemble des règles prescrites.
En matière de démocratisation, leur responsabilité est totale. Ils sont les seuls à pouvoir la promouvoir ou la freiner. Pour ce qui est des droits socio-économiques, le problème est plus complexe.
La plupart n'ont pas attendu la Convention pour promouvoir le droit à la santé ou à l'éducation, par exemple. Si certains Etats totalitaires et riches comme ceux du Golfe peuvent appliquer toute la Convention, mais s'y refusent pour des raisons politiques et idéologiques, la plupart des Etats, notamment en Afrique, sont incapables de l'appliquer même s'ils le voulaient, soit parce qu'ils sont démocratiques mais pauvres, soit parce qu'ils sont totalitaires et pauvres.
Le sort de centaines de millions d'enfants dépend pour l'essentiel des politiques macro-économiques qui se décident dans des dimensions stratosphériques, quasi divines, échappant totalement au contrôle des Etats du Sud de plus en plus réduits au rôle de gardiens de populations et, pour les tenir encore plus tranquilles, de prestataires de "paquets minimum de services", expression inventée en matière de santé par la Banque mondiale. Le sort de populations entières peut se négocier entre partenaires économiques aussi puissants qu'inconnus.
La crise de l'Etat dans les pays du Sud est une donnée qu'il faut bien intégrer dans toute stratégie pertinente. Pris entre le marteau du libéralisme triomphant et l'enclume de l'appauvrissement, beaucoup d'Etats du Sud n'ont aucun moyen de protéger et encore moins de promouvoir les droits les plus élémentaires de l'enfant recommandés par la Convention.
On peut même craindre de nouvelles régressions dans le domaine puisque, traditionnellement, l'équilibre du budget imposé par les bailleurs de fonds internationaux aux Etats passe d'abord par les coupes dans le budget de la santé et de l'éducation et jamais dans celui de la police ou de l'armée.
Demander aujourd'hui à des pays comme le Mozambique d'appliquer la Convention (même dans les limites de ses moyens comme il est dit pudiquement dans l'article 4) revient à demander à un paraplégique de courir cent mètres en moins de dix secondes.
A cet égard, l'attitude du gouvernement américain est représentative d'un état d'esprit particulièrement ... indécent. Les Américains qui donnent le moins à l'aide internationale en pourcentage de PNB et qui orchestrent la nouvelle politique économique mondiale accumulant la richesse à un bout du spectre et la misère à l'autre bout, creusant un abîme de peur et de ressentiment entre les deux composantes de l'humanité, sont ceux là mêmes qui partent en croisade contre le travail des enfants. D'une part, l'on pousse à l'économie de marché la plus sauvage et, de l'autre, l'on prétend combattre l'exploitation de l'enfant qui n'en est que l'un des nombreux effets pervers (US Department of Labour, 1994).
Certes, l'exploitation est scandaleuse et le travail de l'enfant non indispensable, mais le boycott des produits de ce travail réglera-t-il le problème ? Les principaux intéressés eux-mêmes n'acceptent pas cette solution. Ils savent mieux que tout autres, que cela ne signifiera pas pour eux le retour à l'école et l'amélioration de leurs conditions d'existence, mais bel et bien le contraire. De toutes les façons, et à supposer que cela soit possible, l'exploitation du travail ne cesserait pas pour autant. Elle serait simplement déplacée vers d'autres tranches d'âge et serait le lot d'autres types de populations vulnérables, comme les femmes ou les plus pauvres d'entre les pauvres.
La solution n'est donc pas de se lamenter sur les arbres qui brûlent mais d'éteindre l'incendie qui ravage la forêt. Elle ne consiste pas à abandonner les enfants aux moyens fort limités dont disposent des Etats exsangues, souvent instables et corrompus mais bel et bien dans l'exercice de la responsabilité internationale à travers une politique économique moins perverse que celle qui dévaste aujourd'hui le monde. Nous savons tous que les problèmes de sécurité, d'écologie, de développement, de démocratisation ne peuvent plus se traiter pour l'essentiel à l'échelle nationale.
Nous sommes aujourd'hui dans de vastes processus d'intégration, aussi bien à l'échelle nationale que planétaire. C'est du degré de réussite, de la vitesse et de la direction de ces processus d'intégration et donc de solidarité que dépendra le sort de centaines de millions d'enfants dans le monde.
La Convention y fait allusion dans le préambule et l'article 4 en citant au passage la coopération internationale comme moyen de promouvoir les droits socio-économiques et culturels quand cela est nécessaire. Or, cette coopération est plus que jamais obligatoire.
Ne rêvons pas à un gouvernement mondial qui couperait dans les budgets militaires, surveillerait l'état de la planète, organiserait le développement durable, refusant sa reconnaissance aux régimes non issus des urnes et faisant respecter partout la paix, la sécurité et les droits de l'homme. Contentons nous de percevoir les courants d'intégration, et les mécanismes par lesquels nous essayons de combattre des déséquilibres dangereux et de nous opposer aux mouvements oscillatoires de trop grande amplitude.
C'est ici qu'intervient le rôle fondamental et la responsabilité de la société civile nationale et internationale, représentée sur le terrain par les ONG. La Convention fait à peine allusion à leur rôle. On peut espérer que ce sont elles qui sont visées quand elle parle tout à fait à la fin, de "structures spécialisées" que le comité des droits de l'homme peut consulter s'il l'estime nécessaire. Il s'avère pourtant que c'est une pièce maîtresse dans son application, et que c'est peut-être par leur dénonciation permanente du scandale fait aux enfants par leur lobbying et, par leur éducation du public et des Etats qu'elles font avancer les choses là où elles sont bloquées, ou traînent en longueur.
Il y a un paradoxe amusant concernant la Déclaration universelle (et tous les textes qui en sont issus de façon générale). Ce document brandi par les personnes et les groupes aux droits bafoués, contre des Etats autoritaires, racistes ou colonialistes a été rédigé par un syndicat, un forum, un rassemblement ou tout ce qu'on voudra, d'Etats dont la majorité étaient des Etats anti-démocratiques ou colonialistes. C'est peut-être là l'une des ruses de l'histoire dont parle Hegel.
Les textes des droits de l'homme sont rédigés par les Etats et pour des Etats, mais ce sont les ONG qui font de leur application, leur souci principal voire, comme pour les associations des droits de l'homme, leur raison d'être. L'apparition de la nébuleuse ONG, et son renforcement dans le champ du social et du politique est l'un des faits marquants de ce siècle, et nous ne sommes peut-être qu'au début de leur explosion.
Quelqu'un disait que le XXIème siècle sera le siècle des sectes, des ONG et des maffias. Espérons et faisons qu'il soit surtout celui des ONG. Leur rôle dans la défense des droits de l'homme, et plus précisément dans celle de l'homme-enfant est capital. Le travail de la myriade de petites ONG au niveau le plus microscopique pour essayer d'éteindre le feu allumé au niveau des grands mécanismes par les grands décideurs de l'économie et de la politique est à la fois nécessaire et pathétique.
Comment rendre hommage aux associations et aux milliers de personnes comme Annette Cockburn, avec son projet pour enfants de la rue à Capetown, Philista Onyango pour son monitoring des enfants de Nairobi, le groupe ENDA à Dakar, pour son appui aux enfants travailleurs des bidonvilles ou "Rädda Barnen" pour son combat contre l'enrôlement des enfants dans l'armée colombienne, etc.
Le côté pathétique du travail des ONG vient de l'impression qu'elles donnent de vouloir éteindre un effroyable incendie continuellement nourri avec des seaux et des louches. En réalité, l'importance de leur travail n'est pas dans le secours urgent qu'elles n'apportent malheureusement qu'à une fraction minime des victimes. Leur rôle réel est d'être la mouche du coche, qui fait avancer le lent attelage de l'Etat et de la coopération internationale.
Le langage implicite des ONG dit: honte à vous Etats, voici étalée toute l'incompétence dont vous faites preuve, voici toutes vos insuffisances, et voilà vos crimes, s'il le faut. On comprend que les dits Etats n'aiment pas beaucoup les ONG, essayant au mieux de les manipuler au pire de les éliminer. On comprend surtout le rôle d'enzyme qu'elles jouent pour accélérer les mutations nécessaires et la nécessité partout de les renforcer.
Quid maintenant des principaux intéressés: les enfants?
Peuvent-ils jouer un rôle dans cette affaire? Nous restons confinés dans des images et des stéréotypes anciens de l'éternel paternalisme. Aussi est-on surpris de découvrir l'initiative, la maturité, la combativité dont peuvent faire preuve de plus en plus les enfants du Sud.
Qui a jamais entendu parler de l'appel du 1er mai des jeunes enfants domestiques et apprentis du Togo[2], des enfants travailleurs de Kayes au Mali, des associations d'enfants et jeunes travailleurs, qui célèbrent le 1er mai dans 17 villes d'Afrique?
Mais là aussi, il ne s'agit que d'une variante intéressante mais limitée de l'action ONG. Les enfants d'aujourd'hui resteront toujours tributaires de la solidarité des enfants que nous fûmes et que nous restons parfois, pour les meilleurs d'entre nous.
Il est rare que l'on donne dans les rencontres sur les droits des enfants, la parole aux principaux intéressés (sauf pour les chants d'ouverture).
J'aimerais conclure en leur cédant la parole, c'est-à-dire en reprenant les dix points de la plate-forme que 34 délégués venant de 33 pays d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie ont adopté en 1996, à la première rencontre internationale des enfants et jeunes travailleurs qui a eu lieu à Kundapur en Inde.
Ecoutons leurs revendications:
1. Nous voulons tous qu'on reconnaisse nos problèmes, nos initiatives, propositions et nos processus d'organisation.
2. Nous sommes contre le boycott des produits fabriqués par les enfants.
3. Nous voulons pour notre travail, le respect de la sécurité.
4 . Nous voulons une éducation avec des méthodes qui soient adaptées à notre situation.
5. Nous voulons une formation professionnelle adaptée à notre situation.
6. Nous voulons avoir accès à de bonnes conditions de santé.
7. Nous voulons être consultés pour toutes les décisions qui nous concernent, locales, nationales, internationales.
8. Nous voulons qu'une lutte soit menée contre les raisons qui sont à l'origine de notre situation et en premier lieu la pauvreté.
9. Nous voulons qu'il y ait plus d'activités dans les zones rurales pour que les enfants ne soient pas obligés de partir en ville.
10. Nous sommes contre l'exploitation de notre travail mais nous sommes pour le travail digne avec des horaires adaptés à notre éducation et nos loisirs.
Pour les conférences qui vont se tenir maintenant nous voulons être présents sur le même pied d'égalité (s'il y a 20 ministres, nous voulons être 20 enfants et jeunes travailleurs). Nous allons discuter avec nos ministres mais nous ne voulons pas qu'ils nous représentent.
Puissent-ils être entendus.
Pour ce qui nous concerne, nous n'avons d'autre choix que de continuer à lutter pour nos idéaux aux deux extrémités du spectre: sur le terrain de la souffrance et sur celui des grandes décisions, tout en nous répétant sans cesse que c'est idiot de vouloir changer le monde, mais criminel de ne pas essayer.
Références bibliographiques
BIT (1996). Le travail des enfants: L'intolérable en point de mire. Genève: Bureau International du Travail.
Brown, L.
(1996). L'état de la planète. Paris: Economica
De Vylder, S. (1996). Development strategies, macroeconomic
policies and the rights of the child. Stockholm, Suède: Rädda Barnen.
Hammarberg, T. (1993). Making reality of the rights of the
child. Stockholm,
Suède: Rädda Barnen.
Rädda Barnen (1995), Beyond the
Maastricht treaty, Children's Rights in Europe. Stockholm, Suède.
US Department of Labour (1994). By
the sweat & toil of children: The use of children in American imports.
Washington DC: Department of Labour.
Les autorités tunisiennes
n'ayant pas permis à M. Marzouki
de se déplacer et de participer au colloque scientifique sur les droits de
l'enfant, le Message aux participant(e)s a été lu in absentia en préambule du
texte de sa conférence.
MESSAGE AUX PARTICIPANT(E)S
Moncef
Marzouki
Université de Sousse
Sousse, Tunisie
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais tout d'abord exprimer ma profonde gratitude au Professeur Bernard Fulpius, Recteur de l'Université de Genève, et à M. Philip Jaffé pour leur invitation à participer à ce colloque sur la mise en oeuvre de la convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, organisée conjointement avec l'UNICEF.
Bien que je sois profondément désolé de ne pouvoir être physiquement avec vous, c'est un plaisir et un honneur pour moi de participer même de cette façon à votre débat.
L'acharnement que met le pouvoir tunisien à m'interdire de voyager depuis des années, de soigner des enfants malades, de publier mes livres même à l'étranger, de parler, d'avoir un simple téléphone, ainsi que la peur qu'un tel acharnement suscite dans mon entourage, m'ont confiné dans un isolement quasi-total, une sorte d'exil à l'intérieur de mon propre pays, dont je n'arrive à sortir par intermittence que grâce à de telles invitations.
Aussi, celle de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Éducation de l'Université de Genève à parler devant vous a-t-elle pour moi la même valeur qu'une bouffée d'oxygène pour un homme ligoté et bâillonné.
Cette situation, d'autant plus aberrante qu'elle est infligée à un militant des droits de l'homme par un pouvoir qui ne cesse de se prévaloir des valeurs de la Démocratie, est malheureusement fort courante dans beaucoup de pays du Sud.
De par leurs objectifs "les droits de l'homme" s'opposent à l'injustice et à la violence du pouvoir quel que soit le masque dont il s'affuble.
Ils sont l'expression moderne de ce rêve récurrent que rien n'a jamais pu briser: politiser la morale, moraliser la politique.
On comprend aisément pourquoi et en quoi ils gardent, surtout de ce côté-ci de la Méditerranée, un aspect subversif pour les pouvoirs en place et un côté dangereux pour les hommes et femmes qui ont accepté de tout leur sacrifier.
C'est pour moi un privilège de faire partie d'eux et un honneur de lutter pour les objectifs et les idéaux qui donnent sa raison d'être à ce colloque.
Ma contribution est cette réflexion, qui je l'espère, participera peu ou prou à l'approfondissement de vos débats.
Très amicalement,
Moncef Marzouki
Sousse, Tunisie, Septembre 1997
[1] Children for Africa, Second African conference on child abuse and neglect, Cape Town, September 1993
[2] La lettre de la rue, no 15/16, novembre 96, Enda, Dakar, Sénégal