Jeudi 13 septembre 2001. jeu. 13.09.01 19:09 - Lettre aux collègues qui m'ont honoré de leur soutien En juillet dernier, des hommes et des femmes de ce pays, v�t�rans des combats pour les libert�s, m'ont fait l'honneur de me d�signer comme leur porte-parole, dans une organisation politique : Le Congr�s pour la R�publique. Cette nouvelle donne m'oblige � vous �crire afin que le soutien que vous me t�moignez, ne soit pas bas� sur un malentendu d'un c�t� et d'une malhonn�tet� de l'autre. Il s'agit l�, du dernier cercle d'une carri�re faite de cercles concentriques dessin�s par la rencontre d'une situation d'urgences sociales propres au pays du sud, et d'une disposition d'esprit(je serais plus un ''macroscopiste ' qu'un '' microscopiste ''. Mon travail de neurologue m'a mis au d�but des ann�es 80, en face d'un redoutable probl�me : le handicap chez l'enfant. Il a fait de moi � la fois un ''crois� '' de la pr�vention et un militant social pour la protection de cette population handicap�e aussi par la pauvret� et l'ignorance. De l� le passage au probl�me plus large des droits de l'enfant �tait presque obligatoire. C'est ainsi que j'ai fond� en 1981 la premi�re association africaine de d�fense des droits de l'enfant. Une certaine notori�t� m�dicale et mon action dans le champ de ces droits m'ont fait coopter en 1984 pour la Ligue tunisienne des droits de l'homme. Les militants de la ligue m'ont �lu � la t�te de l'organisation de 1989 jusqu'en 1994. En 1998, ce sont d'autres hommes et de femmes, et vu la quasi-destruction de la ligue qui ont fait de moi le porte-parole d'une nouvelle association de d�fense des droits de l'homme : Le Conseil national pour les libert�s en Tunisie -CNLT- Me voil� confront� durant une d�cennie � une guerre sans merci avec une dictature polici�re qui a fait de moi un homme traqu� et pers�cut� � ce jour, car devenu par la force des choses un acteur politique. D'une certaine fa�on, j'ai �t� l'homme de la double vie : Celle du militant et celle du professionnel Il y eut une longue p�riode de ''schizophr�nie'' intellectuelle. Le militant mettait au rancart le professionnel. Le professionnel ignorait superbement ce que faisait le militant. Il y eut ensuite une p�riode ''osmotique''. Le professionnel a trouv� des choses int�ressantes dans le paradigme et les techniques du militant. Le militant a renforc� sa r�sistance et accru son efficacit� gr�ce � son h�ritage m�dical. Transposant des attitudes acquises en m�decine, un militant des droits de l'homme combat la torture comme une maladie sociale et non comme le mal comme c'est le cas pour d'autres militants. Le fardeau est plus l�ger car on combat sans haine, puisque le m�decin lutte contre la tuberculose mais ne hait ni le BK, ni le tuberculeux. L'obligation d'intervention et non de r�sultat, le prot�ge grandement des d�couragements h�las si nombreux. Mais ces changements restaient cantonn�s dans le domaine des attitudes. les comportements, eux, sont rest�s s�par�s en permanence Tout le long de ces deux d�cennies de combat associatif et politique, j'ai veill� � rester un professionnel aussi comp�tent et int�gre que possible. Enseignant, j'ai veill�, � ne jamais influencer et encore moins manipuler mes �tudiants. Pour moi enseigner c'est fournir des outils non des recettes ou des certitudes. J'ai mis un point d'honneur � former des g�n�rations d'internes envoy�s dans les dispensaires ruraux pour effectuer leur travail au mieux. Les recherches entreprises ou supervis�es �taient toujours au service de la solution des probl�mes de sant� prioritaires. Or cette distinction entre le professionnel et le militant, maintenue contre vents et mar�es, n'a nullement dissuad� le pouvoir de l'ignorer � son niveau � lui. C'est ainsi que mon service de m�decine communautaire fut dissous en 1992. Je ne fus nomm� au grade professeur qu'en 1991 alors que je devais l'�tre en 1986. Je fus chass� en 1994 des cliniques de la SS ou j'avais des vacations de neurologue. En 1995 je fus interdit de recherche. En 1996 on me refusa d'accr�diter le DESS que j'�tais le premier � monter � la facult�. Enfin on me chassa de la facult� en juillet 2000 sous le pr�texte le plus ridicule qui puisse s'imaginer : Un cong� de maladie non reconnu par l'administration. Je comprends que ma double vie puisse poser des probl�mes � ceux d'entre vous qui se m�fient de la politique, voire m�me qui ont fait d'autres choix que les miens Mais dans mon esprit, votre soutien s'adresse, non au militant associatif ou politique, mais � un coll�gue, qui pour ses activit�s associatives et politiques, et sans avoir jamais d�m�rit� sur le plan professionnel, est r�duit � un �tat d'extr�me pr�carit�, vivant en r�sidence surveill�e qui ne dit pas son nom et attendant le 29 septembre la confirmation en appel d'une sentence d'une ann�e en prison. Ce que vous appuyez c'est mon droit � retrouver mon poste � la facult� de m�decine de Sousse , ou � d�faut mon droit d'occuper celui qui m'a �t� ouvert gr�ce � votre solidarit�, par la facult� de Paris 7. Vous soutenez aussi mon droit a avoir des choses aussi simples qu'un passeport , un t�l�phone. Ce soutien l� que j'esp�re maintenu sinon renforc�, accro�t ma r�sistance et maintient ma foi dans ce que les hommes ont invent� de mieux pour vivre, voire pour survivre : La solidarit�. Merci pour la v�tre. Moncef Marzouki |