Le Maghreb, aigle malade, par Moncef Marzouki - LE MONDE - 05.07.01 - 13h43 - analyse QUAND l'Alg�rie s'enrhume, la Tunisie tousse, et c'est tout le Maghreb qui a mal. Nos p�res - qui s'y connaissaient mieux que nous en "maghr�binit�"- disaient que le Maghreb est un aigle dont le tronc est l'Alg�rie, les ailes le Maroc et la Tunisie. Sans le tronc, les ailes ne servent � rien. Sans les ailes, le tronc ne peut s'�lever au ciel. Or l'aigle est aujourd'hui bien malade. Livr� depuis si longtemps aux parasites, aux tiques, � toutes ces bestioles qui piquent, sucent et infectent, le corps majestueux, au lieu de planer tr�s haut dans les cieux, se trouve coll� au sol, humili� et d�sempar�. Humili�s et d�sempar�s, nous le sommes tous. Tant de "hogra" (injustice), associ�e � tant d'incomp�tence ! Comment cela a-t-il �t� simplement possible ? Nos p�res se seraient donc sacrifi�s pour �a ? Mais le mal n'est pas alg�rien, c'est le malheur commun. Les sympt�mes sont simplement plus visibles en Alg�rie et les r�actions de d�fense plus vigoureuses. Aujourd'hui, le peuple alg�rien, majestueux dans sa souffrance et sa r�volte, est comme dans les ann�es 1950, en guerre. Et comme dans les ann�es 1950, il se bat pour le m�me objectif : l'ind�pendance. Car voil� o� nos p�res se sont tromp�s. Ils ne savaient pas qu'il y aurait une ind�pendance � conqu�rir apr�s l'ind�pendance, qu'en fait nous aurions � conqu�rir non une ind�pendance mais deux. La premi�re, c'�tait celle de l'Etat national vis-�-vis de l'Etat �tranger. La seconde, c'est celle du peuple vis-�-vis de l'Etat national, d�voy� ou r�cup�r� par les oligarchies. Nos nouveaux occupants croient nous berner en nous parlant sans arr�t d'une souverainet� nationale depuis longtemps confisqu�e � leur seul profit. Mais quel sens peut avoir aujourd'hui la notion de souverainet� nationale pour un peuple qui n'a pas droit � la libert� et � la justice ? Un peuple est-il souverain parce qu'il a des ambassadeurs � l'�tranger grassement pay�s, ou parce qu'il peut choisir librement ses dirigeants, sanctionner librement les incomp�tents et les corrompus, d�fendre ses richesses contre les pillages de toutes les mafias, compter sur une justice ind�pendante, des gouvernants qui servent et non qui se servent ? Il existe �videmment un lien tr�s fort entre les deux guerres d'ind�pendance. Dans la premi�re, c'�taient les �trangers qui pillaient nos richesses, sous couvert de colonialisme civilisateur. Dans la seconde, ce sont les mafias nationales qui les pillent, sous couvert de souverainet� et de fiert� nationales. Cette nouvelle exp�rience est la plus am�re. Le po�te arabe n'a-t-il pas dit "l'injustice des proches est plus douloureuse que le coup du sabre le plus aff�t�" ? Aujourd'hui, cette douleur vive fait descendre dans la rue le peuple � Alger et fait bouillir de rage le peuple b�illonn� de Tunisie. Mais comme rien n'a pu emp�cher la premi�re ind�pendance, rien n'emp�chera la seconde : la d�mocratie sociale et politique. Alors, l'aigle pourra de nouveau battre des ailes tr�s haut dans le ciel, les serres aiguis�es, pr�tes � lac�rer ceux qui voudraient remettre en selle "hogra", pillage, torture, menottes et b�illons... Moncef Marzouki est professeur de m�decine, ancien pr�sident de la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH), membre fondateur du Conseil national des libert�s en Tunisie (CNLT, interdit). Retour Homepage Retour Messages |