Le professeur moncef Marzouki, opposant au président Ben Ali et
militant de longue date pour le respect des droits humains, est
arrivé samedi 8 décembre à Paris en provenance de Tunis. Cela
faisait un an que ce médecin de cinquante-cinq ans, ancien
porte-parole du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT,
association non reconnue), attendait de pouvoir rejoindre le poste
de professeur associé de santé publique qui lui avait été attribué à
la faculté de médecine de Bobigny, après qu'il eut été licencié de
la faculté de médecine de Sousse, officiellement pour "abandon de
poste".
Le 28 novembre, à la veille de la tournée de Jacques Chirac au
Maghreb, le professeur Marzouki avait appris que son interdiction de
voyager venait d'être levée mais qu'il restait déchu de ses droits
civiques. "Je suis soulagé d'être enfin en France. Le simple fait
de marcher librement dans la rue sans être harcelé par la police
politique est un événement extraordinaire. Je me sens comme un
hémiplégique qui se mettrait soudain à bouger le petit doigt!",
a-t-il déclaré au Monde à son arrivée à Paris, avouant
cependant ressentir aussi "la tristesse de l'exil".
Mais ce qui inquiète M. Marzouki, c'est de voir que "les
dictatures ne se sont jamais aussi bien portées dans le monde depuis
le 11 septembre". Il regrette vivement, à ce propos, les
déclarations de Jacques Chirac, le 1er décembre à Tunis,
à l'issue de son entretien avec le président Ben Ali. "Il serait
grand temps que M. Chirac et tous les dirigeants occidentaux
comprennent que ce qui leur fait le plus peur – l'émigration et le
terrorisme – est la conséquence directe de la dictature et de la
corruption, souligne-t-il. Et il faudrait rappeler au
président français que, depuis dix ans, M. Ben Ali ne fait pas la
guerre aux terroristes dans son pays mais aux démocrates."
"STRICTEMENT SÉCURITAIRE"
Toute l'opposition démocratique tunisienne se dit
"choquée" par les propos de Jacques Chirac. Le docteur
Mustapha Ben Jaafar, fondateur du Forum démocratique pour le travail
et les libertés (FDTL, non reconnu) est "étonné" d'entendre
qualifier "d'exemplaire" la politique tunisienne de lutte
contre le terrorisme alors qu'il s'est toujours agi d'une politique
"strictement sécuritaire". "La situation en Tunisie,
estime-t-il, n'a rien à voir avec celle qui prévaut dans les
pays voisins. Le président français fait là un amalgame aussi grave
que celui qui assimile terrorisme et islam et qu'il entend
dénoncer." Mohamed Charfi, ministre de l'éducation nationale
pendant cinq ans sous le régime actuel, passé cette année dans une
opposition ouverte mais modérée, redoute que l'Europe, "en
fermant les yeux sur les atteintes aux droits de l'homme et sur la
nécessaire évolution des pays du tiers-monde vers la démocratie",
finisse par "perdre son âme".
L'avocat Nejib Chebbi, secrétaire général du Parti démocrate
progressiste (PDP, légal), estime que "la politique tunisienne
n'a abouti qu'à l'éradication de la démocratie, tout en laissant
entier le problème potentiel de l'intégrisme". Pour le
responsable du PDP, la Tunisie "n'est pas un exemple de réussite
mais de régression, qui menace les acquis sur le plan social à plus
ou moins long terme".
Florence Beaugé
Un pays "exemplaire" pour le président français
A tunis, puis à Alger et à Rabat, Jacques Chirac a rendu
plusieurs hommages appuyés au président Ben Ali et à la position
"exemplaire" de la Tunisie face au terrorisme depuis
l'arrivée au pouvoir de celui-ci, en 1987. "Si tous les pays de
la région avaient eu la même attitude, il y aurait eu moins
d'atteintes aux droits de l'homme", a-t-il affirmé. M. Chirac
s'est réjoui de ce que la Tunisie connaît "un étonnant succès
économique et social". Interrogé par les journalistes sur la
situation des droits de l'homme dans le pays, M. Chirac a assuré
qu'il s'efforçait toujours d'évoquer "des problèmes de cette
nature", "sans pour autant alimenter la polémique".