Moncef Marzouki condamné à
douze mois de prison ferme
Le militant tunisien des
droits de l'homme a été l'objet d'un « procès politique » selon les observateurs
internationaux
Le Monde daté du
mardi 2 janvier 2001
C'EST
par la
télévision Al Jazirah, chaîne d'information continue pour le monde arabe, basée
à Qatar, que la population tunisienne a appris, samedi soir 30 décembre, la
condamnation du docteur Moncef Marzouki, opposant et militant des droits de
l'homme, à une peine cumulée de douze mois de prison ferme par le tribunal de
première instance de Tunis.
Ce médecin de
réputation internationale, ancien président de la Ligue tunisienne des droits de
l'homme, avait été reconnu coupable un peu plus tôt dans la journée
d'appartenance à une organisation interdite - le Conseil national des libertés
(CNLT), dont il est le porte-parole - et de « diffusion de fausses nouvelles
de nature à troubler l'ordre public ».
Au cours du
procès, la défense, forte d'une cinquantaine d'avocats, avait réclamé en vain à
la cour la lecture des propos incriminés, avant de décider de se retirer,
soulignant que les droits de l'accusé n'étaient pas respectés. Après suspension
de l'audience et délibéré, le tribunal a annoncé son verdict : huit mois pour le
premier chef d'inculpation, quatre mois pour le second. Pour l'instant, Moncef
Marzouki reste en liberté, dans l'attente d'un appel que ses avocats doivent
interjeter d'ici dix jours. L'intéressé, quant à lui, hésite à appuyer cette
démarche, estimant que « la comédie de justice a assez duré » et que
faire appel serait « perpétuer un scénario mal fagoté ne faisant illusion sur
personne et qui constitue une honte pour la Tunisie ». Il est temps de dire,
déclare-t-il, qu' « on ne joue plus et qu'aucun de nous ne croit en cette
justice ».
« PARODIE DE
JUSTICE »
Des
représentants des Etats-Unis et de la France (présente également au titre de la
présidence européenne) ainsi que cinq observateurs judiciaires internationaux
ont assisté à ce procès, fixé au milieu des fêtes de ramadan et de fin d'année.
Tous les témoins interrogés se disent choqués par le déroulement de l'audience,
qu'ils relatent dans des termes identiques. « Le président du tribunal a
empêché constamment Marzouki et ses avocats de parler. De plus, les motifs de
poursuite à son encontre ont paru vraiment très faibles, a ainsi déclaré au
Monde l'un des diplomates occidentaux présents. Il s'agit d'un délit
d'opinion : Marzouki a dit publiquement que le Fonds de solidarité
nationale, le 26-26 [programme de l'Etat pour lutter contre la pauvreté]
manquait de transparence. Ce que le pouvoir lui reproche le plus, en fait,
c'est d'avoir dit cela au moment même où il tente d'accréditer l'idée que le
26-26 reçoit un soutien international. » Pour ce diplomate,
« les juges n'ont pas appliqué la loi pour Marzouki, et en ce sens, son
procès a été un procès politique ».
Doris
Leuenberger, présidente de la Ligue suisse des droits de l'homme, parle de
« parodie de justice et de total manque d'indépendance du juge ». Cette
avocate au barreau de Genève dit avoir surtout relevé
« la tentative manifeste d'intimidation exercée contre les avocats ».
Dans l'idée de pouvoir les poursuivre ultérieurement pour le contenu de leurs
plaidoiries, « le juge faisait acter par le greffier, de façon sélective, les
propos des avocats dès qu'ils prononçaient les mots liberté ou indépendance de
la justice », relate-t-elle. Une observation confirmée par son confrère Eric
Plouvier, dépêché à Tunis par la Fédération internationale des droits de l'homme
et l'Organisation mondiale contre la torture. « En soixante-dix minutes, nous
avons eu la démonstration qu'il s'agissait d'un procès politique et que la
justice était instrumentalisée », estime cet avocat au barreau de Paris,
pour qui le procès a apporté une nouvelle preuve du décalage flagrant entre le
discours officiel et la réalité. « La Tunisie signe un nombre considérable de
conventions qu'elle traite en réalité comme des chiffons de papier,
souligne-t-il. Ironie de la situation, samedi, le jour du procès, le
quotidien La Presse de Tunisie ne disait pas un mot de Marzouki mais
publiait à la une une photo du président Ben Ali avec ce gros titre :
»Au service de l'Etat de droit et des libertés« ! »
Interrogé par
Le Monde, le Quai d'Orsay a souhaité que le docteur Marzouki fasse appel
et qu'un nouveau jugement permette à cette affaire de « trouver rapidement un
dénouement favorable ». Pour l'heure, le porte-parole du ministère des
affaires étrangères, Bernard Valero, note à propos de la condamnation du
militant des droits de l'homme que, « s'il s'agit d'une décision de justice,
celle-ci ne va cependant pas naturellement dans le sens de l'affermissement des
libertés publiques en Tunisie, auxquelles nous sommes attachés ».
Florence Beaugé