LeMonde.fr

En Tunisie, des personnalités modérées se rallient à l'opposition

LE MONDE | 19.03.01 | 12h46

QUARANTE-HUIT heures avant la fête de l'indépendance, mardi 20 mars, et le discours attendu du président Ben Ali, un manifeste signé de 93 personnalités de la société civile tunisienne a été rendu public. Le texte, qui circulait sous le manteau en Tunisie depuis une dizaine de jours, n'aurait dû être dévoilé, via la presse étrangère et Internet, que le jour des célébrations. Mais les auteurs de cette initiative ont préféré accélérer le mouvement, craignant des intimidations sur les signataires, dont la moitié environ exprime pour la première fois ouvertement son opposition au président Ben Ali.

Le texte dénonce la " dérive sans précédent " du régime, caractérisée par " un pouvoir personnel et absolu, un populisme démagogique ", un " dépouillement " de toutes les institutions de leur contenu, ainsi qu'un " étouffement de la société civile, annonciateur de tous les dangers ". L'expression de la différence est " bannie ", les libertés sont " confisquées ", et la presse du pouvoir, qualifiée de " produit de propagande à la gloire du chef ", est utilisée " comme support de calomnies " à l'encontre des opposants et des insoumis. Les partis politiques reconnus sont " satellisés ou marginalisés ", les autres " systématiquement réprimés ", tandis que les associations indépendantes et les défenseurs des droits humains font l'objet d'un " harcèlement permanent ". La torture et les agressions physiques sont devenues " pratique courante ", affirment encore les signataires.

Sans complaisance pour l'ex-président Bourguiba, accusé d'être à l'origine de la confusion entre la fonction de chef de l'Etat et le titulaire du poste, le manifeste estime qu'il est grand temps de " restituer à la politique sa dignité ". C'est pourquoi il invite d'urgence à une " transition démocratique -qu'il- souhaite pacifique et négociée ".

PRÉSIDENCE À VIE ?

En conclusion, les signataires rappellent que le président Ben Ali effectue en ce moment ce qui est en principe son dernier mandat. Ils disent espérer que la raison va prévaloir, car un nouveau mandat (grâce à une modification de la Constitution) équivaudrait à lui ouvrir la voie à la présidence à vie. Une expérience que la Tunisie a déjà faite sous Habib Bourguiba, mais qui, la prochaine fois, préviennent-ils, " se déroulera certainement dans des conditions plus douloureuses et plus dramatiques. "

Si la liste des personnalités qui ont apposé leur signature au bas de ce manifeste retient l'attention, c'est en raison du profil des intéressés. On y trouve des personnalités connues telles que le docteur Moncef Marzouki, l'avocat et président de la Ligue des droits de l'homme dissoute, Mokhtar Trifi, l'historien Hichem Jaïed et la sociologue Khédija Chérif, mais plus encore des nouveaux venus qui n'avaient jamais participé à visage découvert à un mouvement de contestation. Il s'agit de modérés dans leur très grande majorité qui risquent de perdre leur tranquillité (au minimum) en sortant de leur silence. Le plus remarqué des signataires est sans conteste Mohamed Charfi, juriste et ministre de l'éducation nationale au début de la présidence Ben Ali (de 1989 à 1994).

Florence Beaugé

Retour à l'article


Droits de reproduction et de diffusion réservés; © Le Monde 2001
Usage strictement personnel. L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la licence de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.
Politique de confidentialité du site.






Home Retour Presse